mercredi, avril 06, 2005

Droit de réunion et droit de parole

Salut!

Moi c’est Sara, enchantée! Je suis la coloc de Monsieur Raymond dans la belle grande ville de Niamey. On bosse aussi ensemble et on a tendance à fréquenter les même gens dans nos loisirs, alors si je vous dit que tout va bien, c’est que c’est vraiment vrai. Ray est même capable d’endurer mon chum à la maison et dans le frigo 5 jours par semaine, c’est tout dire.

Bon, personnellement, je n’ai pas de blog, mais j’ai une liste commune à qui j’envoie des chroniques une fois de temps en temps sur des sujets nigériens, que ce soit sur l’actualité, sur les coutumes ou sur des petits ou gros trucs qui me frappent. Ray voulait que j’écrive aussi sur son blog, alors je vous envoie mon dernier « reportage » sur l’actualité au Niger. J’espère que ce sera instructif.

À la prochaine
Sara

Droit de réunion et droit de parole

Le Niger est une très jeune démocratie, instable et frileuse. Petit résumé : Le premier mandat démocratique complet s’est terminé en décembre 2004. Le deuxième mandat du président Tandja en est donc à ses débuts.

Depuis son retour au pouvoir, Tandja a décidé de renflouer les caisses de l’État, ce qui en soit est louable, tout est dans la façon de faire.

L’économie du Niger est une économie informelle où la plupart de gens gagnent chaque jour de quoi manger et survivre, sans mettre de côté, sans avoir de salaire fixe, et sans payer d’impôts. L’impôt sur le revenu existe, mais sa perception est virtuellement impossible, les gens n’ayant aucune preuve de leurs revenus, les percepteurs mangeant une partie de l’argent en chemin. De plus, les élus sont en grande majorité des commerçants et des entrepreneurs de poids, qui n’ont aucun intérêt immédiat à ce que les lois sur la taxation des revenus soient appliquées de façon stricte.

Où donc aller chercher cet argent si précieux? En taxant bien sûr les ventes. Jusqu’ici, aucun problème, tout le monde chez nous a pleuré un peu quand la TVA et la TPS se sont installées, mais on s’est habitué depuis et ça fait partie du cours normal des choses.

Là où ça devient problématique, c’est dans ce qui est taxé et comment. L’économie informelle oblige la taxation des ventes aux marchands, car une fois dans la rue, il n’est pas possible de suivre ceux-ci et de récupérer l’argent. Et dans une logique de profit, on veut taxer ce qui est consommé en grande quantité. Or le nigérien moyen ne consomme pas beaucoup et se contente de manger, boire et avoir un toit. Suite à ces taxes, les marchands, dans leur logique de profit à eux, en ont profité pour augmenter leurs propres prix bien au-delà du pourcentage des taxes (fixé à 19%). C’est une logique fréquente ici, où le plus petit est celui qui écope le plus.

C’est dans cet environnement pour le moins mercantile que le gouvernement a imposé des taxes sur les produits essentiels : les denrées alimentaires de base (farine, sucre, riz et lait), l’eau et l’électricité. Et les compagnies de distribution ont augmenté les tarifs de base et, dans le cas de l’eau et de l’électricité, diminué la part sociale (consommation considérée de base pour la survie). La part sociale de l’eau était déjà bien en deçà de la consommation essentielle d’une famille nigérienne moyenne (10 à 15 personnes sur une même facture pour boire, cuisiner et se laver avec un seau d’eau).

Je vous donne mon exemple personnel, mais c’est le même scénario dans tout le pays : ma facture d’électricité a triplé (de 7000 à 25 000 FCFA/mois) et ma facture d’eau a doublé – alors que seule je ne consomme pas la part sociale en eau (de 1000 à 2500 FCFA/mois). Lorsqu’on sait que le salaire de base d’un fonctionnaire (qui est aussi le seul à subir effectivement les impôts prélevés à la source) est en moyenne de 50 000 FCFA (125 $Can), c’est tout de même une bonne partie du budget familial qui sert à couvrir les besoins de base.

La société civile – la population, les ONGs, les associations, les groupements de toutes sortes – a décidé de protester. Il y a d’abord eu une marche. Près de 100 000 personnes (les chiffres varient bien sûr) ont marché vers l’Assemblée nationale. Il y a eu un peu de casse (quelques feux de circulation éclatés, principalement), mais rien de majeur. Le gouvernement a pris peur, il a aussitôt suspendu le droit de rassemblement. Pas à petite échelle, mais impossible aujourd’hui d’organiser une marche sans être assuré que les militaires vont contrôler agressivement la foule, très agressivement.

Alors, les leaders du mouvement ont organisé une journée morte. Ils se sont servis des médias, principalement de la radio, pour demander aux gens de rester chez eux, de ne pas aller travailler à une date fixe. Les taximan, qui sont organisés en syndicat et qui contrôlent toute la circulation des gens et des biens dans ce pays, et les postes d’essence ont embarqué, immobilisant la ville. Les boutiquiers sont restés chez eux. Tout le monde a pris congé.

Le gouvernement n’était pas content non plus, il a eu peur de ces gens qui ont autant d’ascendants sur la population. Ils ont donc arrêté et emprisonné les 5 principaux leaders de la société civile, fermé la radio Alternative, la radio privée la plus critique et la plus écoutée du pays et affirmé haut et fort que rien ne changerait. Les 5 hommes sont accusés d’avoir fomenté un complot contre la sécurité publique de l’État. Ils risquent une peine à perpétuité.

On sent que les réflexes dictatoriaux ne sont pas loin, que les gens à la tête de l’État retrouvent leurs anciennes façons de faire (ils sont les premiers à être élus, mais la plupart ont déjà fait partie du gouvernement avant les élections).

Alors, il y a eu une autre journée morte. Et le gouvernement a dû s’asseoir à la table de négociation. Et il s’est retiré. Troisième journée morte. Et le processus continue, on ne sait pas où cela va s’arrêter, mais on sait déjà que si les choses ne bougent pas, jeudi est encore journée morte. Et que les gens vont même prendre le risque de sortir dans les rues samedi. Mais la population est aussi excédée par ces pressions, parce que dans les journées mortes, c’est ceux qui vivent au jour le jour, les petits, qui écopent, encore.

© Sara Boivin-Chabot, 2005

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